Dans le silence infini de l'espace, chaos de matière céleste parcouru d'éclairs et d'explosions cosmiques, deux forces titanesques s'apprêtent à s'affronter de nouveau. Depuis la nuit des temps, le Bien et le Mal s'affrontent sans qu'aucune vérité n'apporte de sens à leur lutte. Ils sont le pour et le contre, l'espoir et la fatalité, l'avenir et l'oubli, l'architecte et la horde... Ils s'aiment et se haïssent, se heurtent et s'entremêlent, se défient dans leur immortalité pour accroître inlassablement la toute puissance de leur être. Comme deux enfants sans père, deux orphelins privés de souvenirs, les entités se jaugent, complémentaires et indissociables, rassemblant leurs énergies pour s'élancer au contact l'une de l'autre. Propulsées par la force du Destin, les Consciences se percutent, se fondent et se dispersent, projetant une myriade d’Étoiles et de fragments cosmiques dont la clarté incandescente illumine les ténèbres du vide. Disloquées, annihilées par leur inconcevable rencontre, les Entités s'abîment alors dans un sommeil bercé par la clémence d'un million d'astres scintillants.

Une Étoile se met à briller, plus que tout autre, et il semble un instant que le combat séculaire se soit enfin trouvé un vainqueur. Mais un gigantesque météore émerge soudain du chaos pour frapper de plein fouet l’Étoile étincelante, creusant une faille titanesque dans le maelström d'énergie. Après une éternité de dérive et d'agonie, l'astre se fige enfin et, sous le regard impassible du vide, libère de ses entrailles béantes un être primordial fait de cendres et de flammes. Un être à la cuirasse constellée d'écailles noircies par l'ombre de ses ailes de feu. Un être de pierre, de lumière et de vie. Moryagorn...

Le Premier des Dragons est né.

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Moryagorn



L'éveil du Dragon déchira l'immensité du cosmos. Lorsqu'il quitta son berceau de lave et de métal, cratère de souffrance vitrifié par les flammes, Moryagorn embrassa l'immensité d'un regard et comprit qu'il était seul. Les astres bienveillants semblaient retenir leur souffle, auréolés d'une clarté nouvelle, mais aucune main ne se tendit pour l'accueillir, aucune conscience ne vint le trouver pour lui révéler le secret de sa venue au monde. En prenant son envol, Moyagorn découvrit le corps meurtri de l’Étoile qui l'avait enfanté et se mit à pleurer. De rage, il s'élança vers l'infini, poussé par une soif de vengeance et de savoir, insensible aux impacts de fragment de roche sur sa cuirasse de métal, mais jamais il ne parvint à atteindre les astres flamboyants. Comme si l'infini lui refusait son aide...

Livré à lui-même, Moryagorn retrouva le chemin de son berceau et s'abandonna à la dérive, laissant le vide et ses secrets à leur vœu de silence. Son imperturbable méditation ne prit fin qu'au moment où, surgissant du néant, une envoûtante mélopée traversa l'espace jusqu'à lui. Dans le flot des harmonies célestes, une voix se fit bientôt entendre. Moryagorn écouta, stupéfait, partagé entre la joie d'avoir enfin découvert un autre enfant des Étoiles et la crainte d'être confronté à une conscience supérieure qui le priverait de toute compagnie en regagnant tôt ou tard les ténèbres du néant. La voix résonnait de mille échos, comme si chaque pierre, chaque force, chaque grain de poussière cosmique prenait part au chant majestueux. Ensemble, les Étoiles révélèrent au Dragon le sacrifice de leur sœur, l'espoir placé en lui, et leur attente, leur impatience, de voir l'Être Primordial peupler le vide d'une multitude de formes et de couleurs. Lorsque le chant cessa, Moryagorn pleura de nouveau. Ainsi, le monde ne l'abandonnait pas à sa solitude. C'est à lui qu'il appartenait désormais d'imaginer, de créer et d'animer la multitude à laquelle il aspirait depuis sa naissance. Les larmes coulèrent le long de son cou, glissant sur ses écailles et ses muscles d'acier et l'une d'elle perla sur la roche constellée de blessures de l’Étoile pétrifiée. Un flot de lumière envahit le gouffre béant et, tandis que l'Être Primordial se couchait sur la pierre noircie d'un météore à la dérive, la chaleur de la vie ranima peu à peu la force de l'astre originel.

Baigné par les effluves bienfaisantes de l’Étoile, Moryagorn se mit à concevoir la vie, la forme et la matière. Le dégoût qu'il avait ressenti en découvrant les restes de son créateur le poussa à modeler une forme comparable à la sienne, pourvue d'ailes aux bras puissants et d'une gueule capable de déchirer les astres d'un seul coup de crocs. Allongé sur le sol rocailleux, le Dragon planté ses griffes démesurées dans la pierre et fit jaillir un flot de minerai brut qu'il façonna selon ses désirs. Ainsi naquit Brorne, fils de la terre. Son corps était parfait, mais il lui manquait le souffle, le feu intérieur, l'étincelle de vie qui ferait de lui un véritable enfant du monde. Alors, séduite par les efforts de l'Être Primordial, la conscience des Étoiles s'ouvrit une nouvelle fois à l'esprit de Moryagorn et lui révéla le secret de la Vie. Sous l'impulsion de son père, Brorne devint un être de pensées et d'envies, de passions et de rêves, capable de manier à son tour l'énergie créatrice pour faire s'élever des montagnes aux cimes vertigineuses.

La naissance des Grands Dragons



Durant des éons, Brorne apprit à vivre sur le corps de son père, jouant avec les reliefs d’un monde offert à ses moindres caprices, façonnant les écailles de l’Être Primordial au gré de son inspiration, sans qu’aucune inquiétude ne vienne jamais troubler ses pensées. Puis, alors qu’il contemplait la plus titanesque de ses œuvres, il s’interrogea à son tour sur les raisons de sa naissance. À quoi servait-il, sinon à modeler la cuirasse du Premier des Dragons ? Qu’attendait-on de lui ? Pourquoi était-il seul à errer ainsi sur le dos de son père ? En contemplant la solitude de son fils, Moryagorn décida qu’il était temps pour lui de forger un nouveau descendant. Dans un sursaut qui fit trembler la terre, il lacéra la plus haute des montagnes et libéra un flot de lave incandescente qu’il refroidit de son souffle, laissant la silhouette d’un Dragon se dessiner lentement sous les yeux admiratifs de Brorne. Lorsque Kroryn déploya ses ailes encore fumantes, une vague de chaleur bienfaisante teinta de couleurs nouvelles les écailles ciselées de l’Être Primordial. Le Dragon des Volcans se révéla aussi vif et impétueux que son aîné semblait calme, presque immuable, mais les deux frères partagèrent sans tarder la passion de modeler sans cesse de nouveaux paysages, peuplant la terre de massifs et de brasiers ardents. C’est alors que Moryagorn perçut les gémissements de la terre, il laissa deux larmes de compassion glisser le long de son cou et offrit à ses fils insouciants une sœur, Ozyr, qui régnerait sur la fraîcheur des océans. L’eau se répandit sur la terre, inondant la roche dévastée du lit de Moryagorn, dont le corps se mua en un incroyable continent, riche de lacs, de récifs et d’îlots baignés par les mers. Des profondeurs, Ozyr puisa une force inconnue qui lui ouvrit les portes de la mémoire du jeune monde. Tandis que ses frères assouvissaient chaque jour leur appétit créatif, la fille des océans épanchait sa soif de connaissances en interrogeant la mémoire des abysses, qui lui transmirent un à un tous les dons de l’esprit.

Un jour, alors que son frère vantait la magnificence d’une fantastique arche de pierre, Kroryn embrasa la roche d’un jet de flammes et mit Brorne au défi d’éteindre le brasier. Furieux que son frère se moque ainsi de son œuvre, le Dragon de la Pierre souleva la sculpture et fila vers la mer pour y plonger son bien.

Lorsqu’elle réapparut, portée par Ozyr, l’arche scintillait de mille feux, comme si la pierre elle-même s’était muée en un nouvel élément inconnu des Dragons. L’incident amusa Moryagorn, qui voulut remercier ses enfants en façonnant Kezyr, le Fils du Métal. Dès sa naissance, Kezyr s’avéra un compagnon idéal pour Kroryn, partageant sa fougue et son indépendance. Leurs joutes aériennes peuplèrent les cieux d’innombrables nuages, dont la pluie cristalline s’abattit bientôt sur les reliefs arides du corps de Moryagorn, faisant éclore la vie, le feuillage et la végétation. En voyant ses écailles cuivrées se couvrir d’arbres et de fleurs, l’Être Primordial conçut une nouvelle fille, Heyra, qu’il voulut en harmonie avec la richesse et la fertilité de ce monde aux incroyables senteurs. Plus vive, mais aussi plus sensible que sa sœur aînée, Heyra usa de toute sa puissance pour enrichir la terre d’espèces et de couleurs nouvelles, créant arbres et feuilles, plantes et fruits, peuplant les écailles fertiles d’autant de plaines odorantes.

Devant tant d’abondance et de diversité, les descendants du Premier des Dragons se mirent à rêver de pouvoir à leur tour, tout comme leur père l’avait fait avant en les mettant au monde, donner naissance à de nouveaux dragons – car telle était la seule forme de vie qu’ils connaissaient sur cette terre -. Pour leur permettre d’enfanter, Moryagorn puisa dans ses rêves toutes les couleurs de la vie et les fondit en une gemme dont il sertit le corps de Nenya, la Chimère, fille de cette force flamboyante qu’il baptisa « magie ». La naissance de Nenya brisa à jamais la quiétude de l’Être Primordial.

Riches de ses nouveaux pouvoirs, les enfants du Premier des Dragons apprirent à manier la force de leur élément pour créer, mais aussi pour détruire, et bientôt la terre se couvrit d’animaux, de créatures, de phénomènes et de perturbations élémentaires qui révélèrent aux Dragons toute l’étendue de leur puissance. La magie appelait la magie, et les enfants de Moryagorn ne tardèrent pas à souhaiter la naissance de créatures vivantes qui, animées par le don de Nenya, peupleraient alors le monde jusqu’alors silencieux. Kezyr fut le premier à chérir un véritable enfant. Artisan du Métal, le compagnon de Kroryn rêvait depuis longtemps de mettre au monde un Dragon ; lorsque Khy ouvrit les yeux, tous les enfants de l’Être Primordial s’étaient rassemblés autour de son berceau. Il était sans conteste le plus beau des Dragons, et bien que sa taille n’égalât en rien celle de ses pairs, il semblait déjà vif et curieux, avide de découvrir le monde où ses ailes projetteraient bientôt leur ombre titanesque. Ensemble, Kezyr et son fils sillonnèrent les étendues boisées et rocailleuses de la terre. Ils apprirent à admirer la beauté de la vie, à respecter les éléments et à chérir le don que leur avait fait Moryagorn. Puis, alors qu’il traversait le ciel aux côtés de son père, Khy tomba en arrêt devant la lisière de ténèbres qui se découpait devant lui. « Qu’est-ce donc ? » demanda-t-il à Kezyr. « Pourquoi ces terres sont-elles plongées dans l’obscurité, alors que nous vivons dans la lumière ? » A cela, le Dragon du Métal répondit que le corps de leur créateur restait immobile, et que la clarté de l’astre n’en baignait donc qu’une moitié. « Il faut qu’elle tourne » annonça le Dragon. « Il faut que la terre entière soit nimbée de cette chaleur. » A ces mots, le fils de Kezyr jeta un dernier regard à son père et s’envola, seul, tournant le dos au berceau de sa race pour s’engouffrer dans le manteau de ténèbres. Ce qu’il y fit, nul ne le sait, mais bientôt les Dragons s’interrogèrent sur la nature de cet être de mystère et de complexité. Quels secrets pensait-il révéler en s’aventurant là où aucun des Grands Dragons n’avait jamais songé à se rendre ? Et surtout, de quel élément était-il appelé à devenir le maître ?

A ces questions, Khy n’apporta aucune réponse en revenant de l’ombre. Il se contenta de s’allonger, les yeux rivés sur les Etoiles, semblant attendre un signe connu et espéré de lui seul.

Le Don de Moryagorn



Il fallut toute la sagesse d’Ozyr pour mettre fin au silence du fils de Kezyr. Puisque Khy passait son temps à contempler les cieux, absorbé dans la solitude de ses méditations, pourquoi ne pas lui offrir un compagnon de son âge capable de partager sa vision d’un monde en perpétuelle évolution ? Sur les conseils de la Mère des Océans, Nenya puisa dans les rêves de ses frères l’énergie nécessaire à la conception d’un huitième Dragon, fait d’inconstance et de vivacité, qu’elle dédia au seul élément qu’aucun d’eux ne maîtrisait encore : les airs. La naissance de Szyl anima les Dragons d’un souffle et d’un espoir nouveaux. Ainsi, ils avaient bel et bien le pouvoir de concevoir la vie, de la modeler et de la guider. Lorsque Szyl quitta le nid qu’avait bâti pour lui la Mère de la Nature, il s’élança instinctivement vers la lisière des terres ensoleillées, éblouissant les cieux de sa grâce aérienne. Là, il reconnut son frère, penché sur une énorme pierre, et se posa devant lui. « Tu ne te réjouis pas, demanda-t-il, qu’un compagnon te soit ainsi offert ? Viens avec moi, Khy, vole avec moi. Ne laisse pas les soucis de nos pères peser sur nos envies communes. »

« Et quelles sont ces envies ? répondit le fils de Kezyr. Qu’est-ce qui nous pousse ? Qu’est-ce qui nous anime ? Tu es le fils des vents, Szyl, tu règnes sur les cieux et les nuages. Mais moi… Qui suis-je, sinon le fils d’un autre Dragon ? » Le fils de Nenya ne sut que répondre à tant de fatalisme. Pensif, il quitta son compagnon pour retrouver ses pairs et leur faire partager la tristesse du fils de Kezyr. Ses révélations provoquèrent une intense agitation chez les premiers enfants de Moryagorn. Pourquoi Khy n’avait-il pas de domaine ? Qu’avait-il trouvé dans les terres obscurcies qui ait pu susciter cette infinie mélancolie ? Lorsque Brorne proposa d’en appeler à la sagesse de leur père, l’Être Primordial, tous les Dragons acceptèrent de prendre part au rituel, et bientôt le sol se mit à trembler. Moryagorn s’ébroua, brassant les mers d’Ozyr de ses ailes englouties, et s’adressa à Khy d’une voix de tempête.

« Que cherches-tu, fils de Kezyr ? demanda-t-il dans un roulement de tonnerre. Que puis-je créer pour apaiser tes tourments ? » A cela Khy répondit en désignant le corps incandescent de l’astre. « Fais tourner le monde, Moryagorn. Offre à la terre la chaleur du jour, et la clémence de la nuit. Alors, seulement, tu connaîtras le repos. »

Un grondement se fit entendre, au plus profond de la terre. Les Grands Dragons retinrent leur souffle, craignant pour la vie du jeune insolent, mais en guise de foudre, une lumière aveuglante parcourut les nuages, nimbant les cieux d’une clarté nouvelle. Lorsqu’elle disparut enfin, les Dragons surent que le monde avait changé. Le sol tremblait, imperceptiblement. Sous leurs yeux médusés, la lisière de l’ombre se mit à onduler, comme chassée par les rayons bienfaisants de l’astre. La terre tournait, et désormais, le jour et la nuit se partageaient le monde. Alors, pour la toute première fois, un sourire illumina le visage de Khy.

Les enfants de Moryagorn découvrirent le monde sous un jour nouveau. Brorne parcourut le corps de l’Être Primordial à la recherche de nouvelles cimes et cisela les montagnes pour qu’elles magnifient la lumière du soleil. Dans la fraicheur des forêts luxuriantes, Heyra passa de longues années à transmettre aux arbres et aux fleurs de nouvelles couleurs, créant une flore sauvage et luxuriante que Szyl, porté par les courants aériens, contemplait depuis les hauteurs d’un ciel enrichi de nuages indolents. Unis par leur envie de découverte, Kezyr et Kroryn arpentèrent le monde pour parfaire leurs connaissances et leurs techniques de combat ; leurs joutes titanesques embrasèrent les flots de couchers de soleil rougeoyants. Nenya se pencha sur la magie du monde, offrant aux plantes et aux rochers le don de l’émotion. Bientôt, la terre entière fut parcourue de phénomènes magiques et de naissances toutes plus incroyables les unes que les autres. Puis, enfin, sous l’œil attendri des enfants de Moryagorn, une myriade de dragons aux formes bigarrées prit possession des airs et des forêts. Leur taille et leur puissance étaient loin d’égaler la splendeur de leurs pères, mais leurs écailles brillaient déjà des reflets élémentaires, et leur magie gagna chaque jour en force et en couleurs. Ozyr quittait rarement les profondeurs de ses océans où, laissant son esprit errer sur le monde de ses frères, elle apprit la connaissance de toute chose. Dans cette agitation, seul Khy semblait éternellement attendre qu’un nouveau signe du Destin vienne perturber l’harmonie des Dragons. Et ce signe vint.

Kalimsshar



Peinture sur peau, art primitif kalishite. XIIIème alcove, cathédrale d'obsidienne, Nadjar -2000 AdC.

Peinture sur peau, art primitif kalishite. XIIIème alcove, cathédrale d'obsidienne, Nadjar -2000 AdC.

Moryagorn s’était endormi. Après des millénaires, il avait enfin la certitude d’avoir la multitude désirée par les Etoiles, en lui offrant la vie et le pouvoir de faire naître la vie. Ses fils parcouraient la terre. Ensemble, ils seraient capables de créer, de régner, d’apprendre et d’accomplir tout ce que les Etoiles avaient secrètement attendu de lui. Les mots de Khy l’en avaient convaincu. Si le fils d’un de ses fils était capable d’appréhender à ce point les réalités du monde, que lui restait-il à faire, sinon à attendre l’heure de son jugement et de sa libération ? Epuisé par son effort, l’être Primordial rassembla ses dernière énergies dans le cœur de la terre, ferma les yeux et laissa ses écailles se refroidir progressivement. Alors qu’il sombrait, un doute traversa son esprit. Et si ses enfants échouaient ? Si, au lieu de partager leur savoir pour construire, ils laissaient leurs différences forger des armes pour se déchirer entre eux, impitoyablement, entraînant dans leur folie le déclin du monde sur lequel il dormait ? Moryagorn lutta, mais son corps était lourd ; déjà la chaleur abandonnait ses muscles et les couleurs chatoyantes du rêve se mettaient à danser devant lui, les profondeurs envoûtantes du sommeil ayant raison de ses dernières appréhensions.

Lorsqu’il céda enfin, sa crainte prit la forme d’un Dragon d’ombre et de chair. Et lorsqu’il s’endormit, le dernier de ses fils ouvrit les yeux dans les ténèbres.

Un jour, alors que le soleil atteignait son zénith, une ombre titanesque recouvrit la terre. Surpris, les enfants de Moryagorn se réunirent pour assister à la progression des ténèbres qui les plongèrent bientôt dans une nuit absolue. Tous ressentaient l’approche d’un être, d’une puissance, qui avançait à leur rencontre à la vitesse du vent. « Enfin, souffla Khy, enfin sommes nous tous réunis. » Et tandis qu’il se tournait vers le sud, la silhouette d’un Dragon se dessina dans les ombres striées de lueurs mouvantes. « Qui es-tu ? » tonna Brorne, alors que les vents glacés se levaient autour d’eux. La voix du Dragon s’éleva, claire comme le cristal. « Mon nom est Kalimsshar. Je suis né du sommeil de notre père à tous. »

« De ses rêves ? » demanda Nenya.

« De ses espoirs, ma sœur. Je fus forgé dans la brume qui accompagne le repos, dans cet instant fugace qui échappe au souvenir. Moryagorn ne m’a pas conçu comme vous autres. Il m’attendait, tout simplement. »

A ces mots, Khy se fendit d’un rire énigmatique. « Ainsi les maîtres de ce monde sont enfin réunis, prêts à créer la vie que nous espérions tant. »

« La vie ? releva Kezyr, mais la vie qui nous entoure ne te suffit-elle pas ? »

« Cette vie n’est qu’un décor, père, pour les êtres qu’il nous reste à forger. Vois ces forêts, ces fleuves, cette nature… A quoi servent ces fruits, si personne ne les mange ? Notre monde a besoin d’autres enfants… »

Kalimsshar acquiesça. Aucune surprise ne se lisait sur son visage. D’un air entendu, il promit à Khy de l’aider à créer cette race nouvelle, porteuse de tous les espoirs, et fit apparaître dans sa main une petite créature, semblable à un dragon mêlé d’écailles et de fourrure. « Les Syrass ne sont qu’un essai, dit-il en tendant la forme vers ses frères, mais je gage que nous parviendront ensemble à un tout autre résultat. » Heyra voulut s’approcher pour observer la forme singulière, croisement de reptile et de rat, mais le Neuvième Dragon referma ses puissantes griffes et la créature disparut.

Il fallut de multiples essais aux enfants de l’Être Primordial pour modeler enfin un corps digne de leur toute puissance. Isolés, poussés par toutes les différences de leurs éléments, ils conçurent d’innombrables espèces, animaux et créatures aux formes aussi variées que les couleurs du spectre. Mais aucune ne convint aux attentes de Khy.

Jamais le fils de Kezyr n’avait manifesté une telle fougue, une telle détermination, une telle hargne de s’impliquer dans l’entreprise de ses pairs. Après plusieurs siècles de silence, il prenait part aux discussions avec une ferveur et une justesse qui provoquèrent l’admiration de son père, mais aussi de Kalimsshar, avec qui il passait de longues heures à débattre des plus infimes détails de leur création. Les Syrass du Neuvième Dragon se révélèrent particulièrement intelligents. Sous l’œil attentif de leur maître, les créatures serpentines apportèrent leur contribution aux recherches du fils de Kezyr, qui s’inspira de leurs incroyables facultés télépathiques pour concevoir une race douée de pensée et de langage.

Et tandis qu'ils progressaient, les deux Dragons apprirent à se connaître, à s'apprécier, à se souder autour d'une conception du monde qu'ils semblaient être les seuls à partager. Bientôt, la race qu'ils désiraient tout deux allait naître, et ils en deviendraient les pères.

Gravure sur écaille de dragon, bibliothèque du temple d'Ozyr, Oforia.

Gravure sur écaille de dragon, bibliothèque du temple d'Ozyr, Oforia.

Et là où ils avaient échoués seuls, les Dragons réussirent par l'union. Ensemble, ils parvinrent à mêler leurs différences pour façonner un corps riche de toutes leurs qualités. Brorne fit jaillir de la terre une veine de glaise qu'il modela pour former mille corps sur lesquels Kezyr cisela des visages, des muscles harmonieux et des mains capables de saisir. Ensuite, Kroryn et Szyl attisèrent la flamme d'un gigantesque brasier qui transforma la glaise en chair, révélant les plus subtils détails d'une peau dorée comme le soleil. Une fois les corps achevés, Ozyr et Nenya leur ajoutèrent l'esprit qu'elles avaient façonné ensemble, riche d'une intelligence et de facultés magiques hors du commun, et lorsque tout fut prêt, Heyra leur insuffla la vie. Les Dragons retinrent leur souffle, guettant un geste, un mouvement, mais les yeux restèrent clos, et les corps immobiles. Alors, comme ils l'avaient prévu, le fils de Kezyr et le Neuvième Dragon demandèrent aux sept autres de les laisser agir. Demain, promirent-ils, ces êtres de chair et de sang marcheront sur le monde.

La nuit qui suivit, Khy et Kalimsshar dérobèrent aux Dragons l'âme qu'ils donneraient à leurs enfants. Cette âme, expliquait le Seigneur de l'Ombre, est tout ce qui nous différencie des simples créatures. Nous ne vivons pas sur le monde, disait-il, nous pensons le monde, nous comprenons le monde. Grâce à l'âme, nous sommes le monde lui-même. Pour avoir longuement étudié ses pairs, Kalimsshar connaissait, dans le monde onirique des Dragons, un endroit refoulé, une partie de leurs rêves et donc de leur conscience, qu'ils n'utilisaient jamais. Si Khy l'acceptait, Kalimsshar pourrait l'y conduire pour y puiser une partie de l'essence même des Dragons, et la donner aux hommes.

Après cela, les Dragons surent que leurs vies étaient liées à jamais. Par ce vol, et par ce don, ils avaient scellé le destin d'une race qui, avant même de fouler le corps de l'Être Primordial, était déjà appelée à devenir immortelle. Car en plus de la force nouvelle dérobée aux Grands Dragons, les hommes reçurent de Khy et de Kalimsshar les germes de leur grandeur et de leur déclin. Du fils de Kezyr, ils apprirent la curiosité et le goût de la découverte, mais l'esprit de la révolte devait grandir en eux comme une soif absolue. Du Maître des Ombres, ils héritèrent de la beauté éternelle et de l'immortalité, mais aucun d'eux ne pourrait enfanter de descendance. Ainsi naquirent les Immortels, incarnations suprêmes de la force et de la complexité des Dragons, à jamais jeunes et stériles.









L'Age d'Or des Dragons



Au matin, les Dragons furent éveillés par les clameurs d'un millier de rires et de chants. Un à un, ils découvrirent la beauté, la jeunesse et la force de leurs enfants, absorbés par les jeux et l'apprentissage de leurs différences. Khy veillait déjà sur eux, allongé dans l'herbe de la clairière couverte de fleurs. "Voyez comme ils sont beaux, lança-t-il à ses frères ébahis, voyez comme ils ont faim de découvrir le monde... Vous régnez sur l'air et le feu, la magie et les éléments, mais l'homme sera mon domaine." Tous approuvèrent, et le monde entra dans une ère nouvelle.

Pour accueillir dignement ceux qu'il couvait comme ses propres enfants, Khy sillonna le continent à la recherche d'une plaine luxuriante où bâtir un havre de paix propice à l'harmonie des Immortels. En découvrant une vaste clairière, bordée d'arbres et de lacs aux reflets d'argent, il se posa enfin et, mû par une impulsion soudaine, fit jaillir du sol une cité aux murs invraisemblables. Il ne lui fallut que quelques jours aux Immortels pour entendre son appel, traverser le monde et faire trembler de leur liesse les fabuleuses arches de pierre. La cité fut baptisée Khytann, et Dragons et Immortels apprirent à vivre aux côtés les uns des autres, partageant leurs joies, leurs envies et leur vision du monde.

Chacun des Grands Dragons voulut s'attirer les faveurs de ces êtres remarquables. De simples créatures pensantes, ils devinrent capables de communiquer avec les fils de Moryagorn, de ressentir leurs émotions et même de pratiquer leur magie. Kroryn leur apprit l'art du combat, exhortant les plus fiers à mesurer leur bravoure au cours de joutes amicales, Heyra leur fit partager les secrets de ses vastes forêts, ainsi que le langage des arbres et de leurs habitants, Ozyr leur légua la connaissance de monde... Plus que de simples présents, les Dragons comprirent vite que chacun d'entre eux tentait de s'attirer les faveurs des Immortels. Alors, pour couper court aux querelles qui se profilaient déjà, les fils de Moryagorn décidèrent d'accorder à leurs favoris le droit de communier avec tous les Dragons, sans distinction aucune, et de choisir librement l'enseignement qu'ils suivraient. Les Immortels avaient gagné le Lien qui les unissait à l'esprit des Dragons. Désormais, ils partageraient leurs pensées et leurs pouvoirs, pour ne former qu'une seule et même famille.

Les Guerres Fratricides

Loin des festivités quotidiennes de Khytann, où les Dragons amélioraient chaque jour le berceau doré de leurs enfants, Kalimsshar attendait, patiemment, qu’un changement perturbe l’harmonie du monde. Khy avait trouvé sa voie, mais semblait si heureux de vivre auprès des Immortels qu’il en oubliait de parler avec ses propres frères. Si le Neuvième Dragon se réjouissait également des incroyables facultés des hommes, il restait convaincu qu’aucune chose ne devait connaître l’inertie, que rien, pas même les volontés des Dragons, ne pouvait s’abîmer dans la paresse de la perfection.

« Car la perfection n’est que changement. », se dit-il en prenant son envol.

Accompagné des quelques Immortels qui suivaient son enseignement de la vie, il vint trouver Kroryn qui, allongé dans le sable, observait les progrès de ses lutteurs. Là, il lui parla longuement de son frère, Kezyr, et lui tint le langage de la perfidie. « As-tu remarqué son changement, depuis leur naissance, dit-il en désignant les Immortels ? As-tu noté son arrogance, son mépris, lorsqu’il est question d’eux ? » Kroryn devint songeur, et bientôt il se mit à douter de la parole de son frère. Très vite, il fut persuadé que le Dragon du Métal aspirait à remplacer leur père, à prendre la parole en son nom, à devenir leur guide et leur chef. « Pourquoi Kezyr prendrait-il la place qui t’incombe en tous points ?, souffla Kalimsshar. Tu es plus vieux que lui, plus fort, et tes Immortels plus fiers que les siens… »

Ensuite, abandonnant Kroryn à sa méditation, le Neuvième Dragon trouva Kezyr et lui tint le même discours. « Ton frère te méprise, lui dit-il. Il est jaloux de ta puissance, de ta noblesse. Tes talents lui pèsent, Kezyr, et ta grandeur l’obsède. »

Quelques jours plus tard, Kalimsshar souriait. Il avait distillé son venin, insidieusement, dans l’esprit des moindres habitants de Khytann. Déjà la glace s’insinuait dans les mots, dans les gestes, dans les regards mêmes des Dragons et de leurs Immortels. Seul Khy, indifférent au devenir de ses frères, parvint à rester sourd aux calomnies qui hantaient désormais chaque souffle. Le doute devint suspicion, la rancœur devint haine… et pour la première fois depuis sa création, le monde connut la guerre.

Première gravure de bataille, cathédrale du feu, Ankar, Gravure sur bois prékarienne.

Première gravure de bataille, cathédrale du feu, Ankar, Gravure sur bois prékarienne.

Le premier jour, Kroryn et Kezyr s’affrontèrent seuls, mais la puisse de leurs coups ébranla le ciel et la terre, car aucun d’eux ne semblait faillir. Leurs assauts gagnèrent en rage et en fureur, déchaînant la foudre, libérant des nuées de feu, plongeant le monde dans une infinité de souffrance et de peur. Lorsqu’ils comprirent que la victoire leur échappait, les frères ennemis exhortèrent les Immortels à les suivre, prodiguant leurs faveurs à ceux qui se ralliaient à leur cause. La cité de Khytann fut assaillie par les flammes, la végétation se noircit, et des Immortels périrent. En voyant leurs frères tomber sous les coups, les hommes se lancèrent au combat avec hargne, plongeant Khytann et ses terres dans un chaos sans nom. Lorsque Kalimsshar prit part à la bataille, il libéra des hordes de dragons de l’ombre et de créatures décharnées sur les armées ennemies. Brorne quitta ses montagnes pour se ruer au combat, Heyra enfouit ses créatures au plus profond des forêts, Ozyr fit déferler ses vagues meurtrières sur les côtes… Lorsqu’il comprit que la guerre ne cesserait pas, Khy guida une centaine d’Immortels vers une plaine isolée, bercée par les bras paisibles de puissantes rivières, et y fonda Yris, cité de pierre et de bois, où les âmes innocentes purent aspirer à la paix. Le monde agonisait , torturé par les foudres des Dragons, mais les frères ennemis refusaient d’admettre leur erreur commune. Il fallut le sacrifice de Khy pour mettre un terme à leur frénésie destructrice.

Un jour, alors que le combat faisait rage dans les cieux, il entra en contact avec l’Être Primordial et lui demanda sa force. Ebranlé dans son sommeil séculaire par la rage de ses fils, Moryagorn accepta, et le fils de Kezyr trouva le courage d’abandonner son nom, sa grandeur et sa forme, pour perdre ses écailles au profit d’un corps d’homme. Sous les traits d’un Immortel, il marcha vers ses pairs et se campa fièrement devant eux, le poing dressé vers le ciel, hurlant pour que cessent leur vengeance et leur aveuglement.

« qui es-tu pour braver la parole de tes maîtres, Immortel ? » gronda Kroryn d’une voix de tonnerre. « Disparais ou péris ! » hurla Kezyr. Lorsqu’il répondit aux titans, l’homme ne manifestait aucune peur. « Tue-moi si tu veux, Dragon, mais sache que tu n’es pas mon maître. Tu es né, toi aussi, et ton créateur meurt de honte en contemplant ta haine. »

A ces mots, Kezyr fondit du ciel, prêt à porter un coup ravageur. L’Immortel n’esquissa pas le moindre geste de défense lorsque le Dragon le frappa de ses griffes. L’œil gauche de Khy fut arraché et projeté dans l’espace où il devint Khyméra, la Première Lune. « Tu aurais pu me tuer, Kezyr, si je n’étais qu’un homme. Mais c’est ton propre fils qui s’élève aujourd’hui pour calmer ta fureur. Avons-nous créé la vie pour satisfaire votre seule soif de sang ? Désormais, tu n’as plus de fils. Ma place est auprès des hommes, et aucun de vous n’y sera plus jamais le bienvenu. » Un silence glacial recouvrit le champ de bataille. Les Immortels lâchèrent leurs armes, les flammes s’estompèrent, puis moururent, et les Dragons oublièrent leurs rancunes. En regardant son fils s’éloigner, Kezyr comprit à quel point il avait été manipulé, trahi par sa propre fureur et par la perfidie de Kalimsshar, et jura de venger dans le sang la perte que rien n’effacerait jamais de son cœur. Accompagné de Kroryn, il vint parler à ses frères, et tous acceptèrent de le suivre. Ensemble, les fils de Moryagorn levèrent la plus titanesque des armées et marchèrent vers les contrées ténébreuses du Neuvième Dragon, décidés à laver de sa présence corrompue le corps de l’Être Primordial.

La Bataille de Khyméra

Lorsque l’armée parvint aux portes du royaume de Kalimsshar, perdu entre l’océan et les hautes montagnes du sud, ils découvrirent une terre noircie par les brumes, couverte de roches et de végétation menaçantes, où mes ombres semblaient animées d’une vie propre.

Kezyr marchait en tête. Quand l’océan eut raison des dernières lueurs du soleil, le Dragon s’éleva majestueusement dans les airs et, d’une voix grondante de haine et de colère, exhorta Kalimsshar à venir l’affronter. Le combat fit rage. Khyméra, l’œil de Khy, nimba les affrontements d’une pâleur singulière et lourde de reproches. Un à un, les Immortels tombèrent sous les coups des hordes du Neuvième dragon, dont le flot de créatures se déversait comme un torrent de pénombre sur les armées de Kezyr et de ses frères. A plusieurs reprises, les adversaires crurent l’heure de leur triomphe arrivée, mais de nouvelles forces affluaient sans cesse, encore plus terrifiantes et meurtrières. Affaiblis, accablés par les pertes successives, les Dragons puisèrent dans leurs dernières réserves la force de lancer un ultime assaut. Dans le feu du combat, Kroryn et Kezyr se retrouvèrent face au Neuvième Dragon et le Fils du Métal blessa mortellement Kalimsshar. Plongeant ses griffes à l’assaut de sa cuirasse, il arracha au Seigneur de l’Ombre une partie de son cœur qu’il jeta à son tour vers les cieux. Là, l’organe sanguinolent sécha au contact du vide et s’immobilisa aux côtés de la première lune. Plus tard, les hommes appelleraient cet astre de ténèbres Shar, la maudite, et guetteraient avec appréhension la rondeur de ses formes dans le ciel étoilé.

Carnets astronomiques d'Alya, Bibliothèque interdite du temple d'Ozyr,Oforia.

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Mais le coup de Kezyr ne sonna pas la victoire. Blessé, Kalimsshar considéra son frère et lui sourit gravement. » tu ne peux me tuer, Kezyr, souffla-t-il d’une voix douce. Ni toi, ni aucun autre. Car je suis la vie, la mort et le temps. Privé de cœur, mon sang continue de couler, même froid, et aucun de tes coups ne saurait me faire taire. » Alors, Heyra prit la parole, et derrière elle se découpèrent les formes éreintées d’Ozyr, Nenya et Szyl, qui approuvèrent chacun de ses mots. « Cessons de nous battre, Kalimsshar, ou ta victoire sonnera la mort de nos fils. Que gagnons-nous à perdre ainsi le fruit de nos passions communes ? L’Être Primordial nous a fait à son image, immortels, indissociables du destin du monde, et seules nos créations subiront les foudres de nos guerres fratricides. Est-ce là ton but, Seigneur de l’Ombre ? »

Pour seule réponse, Kalimsshar se fendit d’un rire qui fit trembler les montagnes, et se glacer le sang des armées de dragons, d’hommes et de créatures. « Qui crois-tu attendrir ? Lança-t-il en déployant ses ailes. Vous êtes venus me combattre, et ma victoire sonnera votre première leçon. On ne joue pas avec le Temps lorsque l’on craint la mort. Soufflez votre venin, envoyez vos hordes, tuez, mes frères, versez le sang de mes armées… Nous nous relèverons, encore et encore, pour hanter vos consciences et reprendre nos droits. Car je suis le secret de l’immortalité. » Mais le Neuvième Dragon s’interrompit. Autour de lui, le sol se mit à trembler, comme animé par une force intangible et les ombres reculèrent sous les feux d’une lumière rougeoyante. Dressé sur la plus haute montagne, Kroryn jeta un dernier regard sur le champ de bataille puis, d’un coup qui ébranla la surface du monde, libéra un flot de lave incandescente qui fondit en hurlant sur les hordes impuissantes. Un cri de souffrance pure s’éleva des armées mêlées de dragons et l’Immortels, et lorsque la lave se figea, seulement quelques créatures avaient été épargnées par la vague meurtrière de Kroryn. Médusés, les derniers Immortels contemplèrent le spectacle de ces corps raidis par la mort, étreints par les flammes, qui se dressaient sur les vestiges calcinés de la plaine, leurs armes encore levées, leurs ailes déployées et leurs visages imprégnés d’un ultime espoirs.

La fureur du volcan sonna la fin des guerres draconiques. En rassemblant leurs dernières forces pour quitter ce lieu maudit, les Dragons comprirent avec effarement que les milles Immortels n’étaient plus qu’une centaine, peut-être moins encore. Surplombant le champ de bataille vitrifié, Kalimssahr répondit de toute son arrogance à la profonde détresse de ses frères, meurtris par la perte de leur descendance. Il ne pouvait y avoir de vainqueur à cette lutte, et le feu de Kroryn n’avait balayé que leurs propres faiblesses. Alors, les dragons convinrent de cesser toute querelle et de protéger la vie de leurs enfants, quels qu’ils soient, pour qu’aucun fils du monde ne connaisse à nouveau les horreurs de la guerre.



La naissance de Kor

Séparés les uns des autres par les vestiges immuables de leurs erreurs passées, les neuf fils de Moryagorn tinrent conseil pour éviter qu’une telle folie se reproduise. Ils élurent la région la plus orientale du monde, la partie postérieure de l’Être Primordial, Terre Sacrée des Dragons. Là, ils abandonnèrent toute envie de vengeance et érigèrent chacun un sanctuaire destiné à préserver le principe même de leur être. Kalimsshar désigna les terres noircies du sud comme sa nouvelle demeure et les Dragons peuplèrent les grandes plaines du nord, investissant les montagnes et les forêts. Puis ils se rassemblèrent une dernière fois et édictèrent quatre lois qui guideraient l’évolution des leurs et garantiraient l’avenir de la vie. Du grand désert du nord au premier volcan de l’extrême sud glacé, les Dragons et leurs enfants jurèrent de respecter toujours ce qu’Ozyr nommerait bientôt les Edits Draconiques. Les survivants des guerres sillonneraient le monde à leur guise, libres de rester auprès des Dragons ou de leur préférer les terres lointaines. Accablés de douleur, les derniers Immortels se retrouvèrent au centre de la plaine dans le sanctuaire de Khy, Yris, seule cité épargnée par les guerres. Le continent de Kor était né, les Immortels allaient devenir des hommes car il leur restait encore à affronter l’ultime défi de Kalimsshar.

Le Pacte des Maudits

Traumatisés par la guerre, abandonnés par les Grands dragons reclus dans leurs sanctuaires, les Immortels tentaient de retrouver l’harmonie passée sans y parvenir. Trop peu nombreux, exterminés par des luttes harassantes, ils commencèrent à dépérir. En voyant les siens retrouver la raison, Khy emprunta le chemin de ses pairs et guida les Immortels sur les routes de la réconciliation. Mais malgré ses efforts pour leur apporter tout le secours de sa sagesse, il ne parvint pas à leur rendre leur fougue et leur joie passées. Chaque regard lui permettait de comprendre à quel point son œuvre restait inachevée. La guerre avait cessé, mais les Immortels n’étaient plus que les fantômes de leur magnificence perdue. Khy ressentait au plus profond de son être le voile de résignation qui s’abattait sur les épaules de ses précieux enfants. Alors qu’il désespérait de les voir un jour retrouver les routes du bonheur, l’ombre de Kalimsshar couvrit la cité et le Dragon de l’Ombre apparut à sa porte pour s’entretenir avec Khy. Il lui rappela comment, jadis, ils avaient tous deux dérobé une partie de la conscience des Dragons pour offrir une âme aux Immortels. Il lui récita les Edits Draconiques qui les empêchaient à jamais de créer d’autres êtres. Lui seul pouvait rendre l’espoir et offrir à la vie une perspective d’évolution. Résigné, Khy accepta de lui confier les survivants à la seule condition qu’ils soient eux-mêmes maîtres de leur destin. Alors Kalimsshar leur proposa d’apprendre à leur tour le secret de la vie et de la procréation en échange de leur immortalité. Des derniers Immortels, seul un couple refusa, tous les autres abandonnant leur puissance passée et leur jeunesse éternelle en héritant du don du Seigneur du Temps. En accédant à la fécondité, ils perdirent le Lien qui les unissait aux Dragons et oublièrent par là même toute leur magie. Déchus, abandonnés à leur sort, les hommes prirent alors conscience de leur faiblesse et de leur ignorance. Le prix exigé pour leur permettre de retrouver l’espoir était exorbitant. Khy sentit pourtant que les hommes en accédant à la coûteuse demande de Kalimsshar n’étaient pas perdants car ils venaient d’acquérir un inestimable trésor. Les deux derniers Immortels, unis pour une éternité de solitude, abandonnèrent leurs frères déchus et disparurent dans l’oubli.

Enfin, riches du don de la vie, les hommes se lancèrent à la conquête du monde.
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